Résorber l’habitat précaire
Ce chapitre clôt la deuxième partie de la thèse par la faillite progressive des dispositifs de résoption et de reprise en main des situations d’occupation, alors que se disputent les justifications des actions engagées dans le champ de l’habitat précaire et apparaissent les désaccords sur les mécanismes à l’œuvre sur le terrain des bidonvilles et des squats.
L’année 2008 opère un tournant dans le rapport des institutions publiques à la situation des roms roumains installés dans des squats ou des bidonvilles de l’agglomération lyonnaise. Ce tournant n’est cependant pas une rupture, bien au contraire. Il s’agit alors plutôt d’instituer ce qui se fait déjà, c’est-à-dire de créer un dispositif organisé institutionnalisant le rapport à la situation des roms par le biais de ce qu’on appelle déjà « l’habitat précaire ». C’est une originalité de la situation lyonnaise. Rares sont, partout ailleurs en France à la même époque, les prises en compte institutionnelles à ce point cadrées. Le dispositif est attendu pour instituer une « réponse » à la présence des squats et des bidonvilles, c’est-à-dire qu’il instaure et prête officiellement la fonction à l’institution publique de résorber l’habitat précaire en mobilisant des moyens adéquats. Cette fonction n’était jusqu’alors pas « officielle », si tant est qu’elle ait pu être portée par quelque institution ou collectivité de manière seulement ponctuelle, ne répondant sans spécificité qu’à des situations de « crise » momentanées (comme l’intervention sur le bidonville de la Soie début 2007 par exemple).
La Maîtrise d’Œuvre Urbaine et Sociale « Habitat précaire » (que l’on notera aussi MOUS HP) est donc mise en place au début de l’année 2008. Une convention est signée entre l’Alpil et les institutions publiques engagées dans ce travail en début d’année. Elle délimite le champ d’intervention et fixe les objectifs. Un « comité de suivi » discute la méthode et définit les priorités. L’Alpil opère sur le terrain, produit des comptes-rendus qui sont présentés au comité de suivi et doivent servir à la prise de décision.
Cette première partie de l’année 2008 durant laquelle s’expérimente le dispositif MOUS dans sa mise en œuvre pratique, montre surtout la nécessité de convenir de ce sur quoi on intervient, ce qui en l’occurrence fait débat et annonce un dispositif fragilisé par des questions de départ non résolues. Alors que la convention doit délimiter et définir avec précision les attentes du dispositif, les désaccords sur le terrain sont nombreux et les réussites un « moindre mal ».
Les désaccords se situent sur les « justifications », au sens que leurs donnent Laurent Thévenot et Luc Boltanski1, qui sont employées pour décider des actions à mener sur le terrain. Ces justifications concernent la définition des « mécanismes » en œuvre sur ce terrain qui sont autant d’arguments disputés en vue de convenir de la définition de la situation même. Ces formes de justification interrogent le « bénéfice » des interventions, c’est-à-dire non seulement qui doivent être les « bénéficiaires », mais essentiellement savoir à qui « profite » le « gain » des interventions gagné sur la situation de départ. Le dispositif devrait d’un côté s’intéresser à la question large de l’habitat précaire, c’est-à-dire à un problème de mal-logement et donc à une problématique plus générale qui touche au collectif. D’un autre côté, le dispositif semble se concentrer sur la question de la présence des roms dans les squats et bidonvilles, c’est-à-dire au problème vu sous un angle particulier et qui fait référence à une manière de considérer la problématique comme pouvant être limitée à un aspect en particulier: en ce sens on s’intéresse aux occupations les plus gênantes pour la collectivité et les pouvoirs publics, les moins « accessibles » et les moins compréhensibles, celles qui sont productrices du plus grand désordre et du plus grand trouble.
Les 6 premiers mois de fonctionnement du dispositif sont l’occasion d’un bilan de la part de l’Alpil qui souhaite montrer en quoi les premiers échecs (ou plutôt l’absence de toute réussite et de toute efficacité selon une certaine idée) sont le signe d’un « défaut de regard » sur la réalité sur laquelle on intervient. La connaissance du terrain devient un enjeu de l’intervention. Convenir de ce travail, se devrait être s’accorder sur les mécanismes à l’œuvre sur le terrain couvert par le dispositif. Or, selon l’Alpil, qui utilise un ensemble d’outils statistiques, qui montrent à leur tour une certaine limite dans l’utilisation des « données » et font apparaître là encore une situation peu transparente, les mécanismes ne sont pas correctement pris en compte.
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Notes
1. Voir Luc Boltanski et Laurent Thévenot, De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991. Retour au texte