Sécuriser les abords
Le chapitre 4 représente une transition entre, d’une part, le travail qui a été réalisé sur le « bidonville de la Soie » au début de l’année 2007 (chapitre 3) et ce qui va d’autre part devenir le premier dispositif institutionnel de résorption de « l’habitat précaire » en 2008 (chapitre 5). Ce chapitre documente cette période de transition où les bidonvilles et les roms sont traités comme le plus grand des dangers.
Malgré l’expulsion du bidonville de la Soie en milieu d’année 2007, l’Alpil poursuit le travail sur le terrain des squats et des bidonvilles sans commande publique. Les 6 derniers mois de l’année sont marqués par l’absence de « cadre » explicite et institué, comme a pu l’être d’une certaine manière le travail à la Soie avec la commande d’un rapport par la préfecture.
Les expulsions de sites occupés sont doublées d’une incitation au retour volontaire, qui est peut-être l’un des seuls dispositifs à montrer un certain résultat sur le court terme. Mais on découvre que les dispositifs policiers qui sont déployés à l’occasion des évacuations de squats et bidonvilles sont à ce point imposants qu’ils s’exercent comme pour faire face à la plus extrême des situations, c’est-à-dire face au plus sérieux danger. A la fermeté, à la surveillance et à la sanction « normalisatrice » vient s’ajouter des mesures de sécurité exceptionnelles. Autant le pouvoir met en place une surveillance et une mesure (un examen) pour gagner du terrain sur (la connaissance de) ceux « qui l’occupent », autant les dispositifs de sécurité qui sont mis en place, à la suite de l’opération d’évacuation du bidonville de la Soie, sur d’autres sites d’occupation, n’ont rien de spécifiques sinon d’être dimensionnés pour les seuls cas extrêmes.
Ce qui se déroule sur le terrain des occupations précaires fait cependant apparaître une certaine continuité de l’action de la puissance publique sur cette question, sous une forme toutefois nouvelle: les squats et bidonvilles, de lieux indéterminés dont il faut procéder à l’examen, apparaissent également comme des lieux dangereux qu’il faut sécuriser. Il y avait déjà quelque chose qui déstabilisait suffisamment le pouvoir pour provoquer le doute et exiger une surveillance, une vérification et, le cas échéant, une punition, ainsi que nous l’avons vu dans le chapitre précédent. Ce qui se poursuit ici en tentant de se perfectionner, c’est la volonté du pouvoir de reprendre ou conserver la maîtrise de ces espaces et de ces personnes, non seulement « non-conformes », mais aussi dangereux. Les « zones de danger » ne doivent pas rester hors d’atteinte. L’enjeu, c’est l’efficacité de l’action publique.
La puissance publique ne sait d’abord pas vraiment comment intervenir au mieux sur les bidonvilles, elle se perfectionne notamment depuis les interventions sur le bidonville de la Soie, et les moyens mis en œuvre pour ces opérations le sont dans l’hypothèse de la plus grande des menaces, qui est en premier lieu celle de ne pas savoir à quoi s’attendre. Il ne s’agit plus seulement de la discipline qui, selon Michel Foucault, s’exerce « sur le corps des individus »; il ne s’agit plus non plus seulement de l’exercice de la souveraineté qui s’exerce « dans les limites d’un territoire »; il s’agit de « la sécurité [qui] s’exerce sur l’ensemble d’une population1 ». Si insécurité il y a, il faut prévoir (le pire), anticiper, tenter d’éviter, se prémunir, etc. « On va travailler sur l’avenir », nous dit Foucault, en tenant compte « de ce qui peut se passer […] on peut parler là d’une technique qui s’ordonne essentiellement au problème de la sécurité, c’est-à-dire au fond au problème de la série […] C’est la gestion de ces séries ouvertes, et par conséquent qui ne peuvent être contrôlées que par une estimation de probabilités, c’est cela, je crois, qui caractérise assez essentiellement le mécanisme de sécurité2 ». Alors que l’action disciplinaire distribue et hiérarchise les individus (et punit les non-conformes), le dispositif de sécurité va au contraire construire un ensemble, « des séries d’éléments et d’événements possibles3 et repérer ce qui s’en écarte. Il faut donc idéalement délimiter une « zone de danger », un champ d’action, des abords et, faute de pouvoir parler des bidonvilles et des roms, on va qualifier un ensemble approximatif, « l’habitat précaire », avant de constituer un premier dispositif public en fin d’année 2007 pour intervenir sur cette situation d’ensemble qu’on ne cesse de désigner à mesure qu’elle échappe.
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Notes
1. Michel Foucault, Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France, 1977-1978, Paris, Seuil/Gallimard, 2004, p. 13. Retour au texte
2. Ibid., p. 21-22. Retour au texte
3. Ibid., p. 22. Retour au texte